"Je voyage beaucoup dans le jeune public que je préfère, même si je travaille parfois pour le théâtre adulte. J’aime l’énergie qu’y ont les projets, car en général, il y a des petits budgets, c’est une moins grosse machine, c’est quelque chose de plus construit, de plus réfléchi. C’est un milieu où tout le monde travaille ensemble, pas chacun dans son coin. ce n’est pas la costumière qui fait ses costumes dans son atelier, alors que les autres répètent. Souvent, on échange. C’est plus cohérent. Dans la plupart des projets pour lesquels j’ai travaillé, il n’y avait pas de texte au départ, si bien que tout le monde nourrissait la création avec ses idées son bagage artistique. C’est une construction commune, au fur et à mesure. C’est une échelle plus à ma hauteur, un peu plus cocoon. Mais il doit y avoir des productions où ça ne passe pas comme ça."
La scénographie : toucher le public par le visuel
Comme scénographe - costumière, Marie assiste aux répétitions. "Je suis là en résidence. C’est là que j’ai des idées que je peux partager et qui suscitent de nouvelles idées à leur tour. Il arrive que je me trompe, et c’est normal, on va en tâtonnant, par essai-erreurs. J’ai l’impression que tout le monde est nourri du travail d’éclairage, du travail de costume, du travail de scénographie, du travail de mise en scène et de ce que les comédiens apportent.Je suis souvent plus costumière que scénographe. Mais dans le jeune public, il n’y a pas toujours un scénographe et une costumière, les deux postes sont réunis. Je n'excelle pas dans la construction technique, je ne la gère pas tellement, ce sont surtout les idées que j'aime développer. Inventer un univers visuel m’enchante, tant pour les costumes que pour les décors. Ce qui m'enchante, c'est de toucher le public par le visuel. Il y a des mots, il y a les acteurs, mais il y a tout le côté esthétique, c’est ça la scénographie. La scénographie, c’est aussi le plan scénique. C’est définir d’où sortent les gens, comment rentrent les gens. Comment ils apparaissent, comment ils disparaissent. Cela se fait en partenariat avec le metteur en scène. On est au service de l’histoire et de la mise en scène. Et on doit rendre esthétique quelque chose dont au départ la vocation est pratique. Si on est dans la manipulation d’objets, il faut que ce soit visible d’un gradin. Ce sont toutes ces choses là qui font partie de la scénographie aussi."
"On vient me chercher quand il s’agit de textile ou d’univers de couleurs. Pour le moment, je ne travaille pas sur un projet théâtral. Je suis styliste aussi. Le dernier projet que j’ai fait, c’était Petit Penchant avec 'Les pieds dans le vent'. Pour mener un projet jusqu’à la tournée, il faut du temps. Plusieurs mois. J’assiste à des répétitions pendant un mois, plus ou moins, mais je n’y vais pas tous les jours. Je m’imprègne, je dessine, j’apporte des objets. Et puis je laisse murir, pendant qu'eux travaillent de leur côté, et puis je reviens avec des choses que j’ai confectionnées et qui correspondent plus à ce qu’ils demandent. Ça peut s’étaler sur six mois, sans que cela ne soit un travail continu. Parfois, j’arrive en cours de route aussi. Comme les budgets sont limités, il y en a qui se disent 'on ne va pas prendre de costumière', ou 'on ne va pas prendre de scénographe, on va faire nous-même'. Puis, il y a un moment donné où ils ne savent plus et donc on arrive en cours de parcours."
Le public "jeune public"
"Le Jeune public est exigeant : un jeune public qui n’aime pas, il ne va pas rester en silence sur sa chaise. Et attendre que ce soit fini comme un adulte. Il faut le captiver, du début à la fin, il faut donner un rythme. Dès qu’on est dans quelque chose d’un peu long et poétique, ça peut durer un certain temps, mais il faut alors les réveiller, les accrocher à nouveau. Avec les enfants, il faut passer d’une chose à l’autre. On peut profiter d’un moment subtil et lent, mais il faut bien doser. Pour ça, c’est vraiment un public qui ne ment pas. Je trouve qu’ils ne sont pas tolérants comme des adultes, ils sont plus francs. S’ils s’emmerdent, on l’entend. Mais c’est aussi un public spontané, et c’est génial quand le spectacle est réussi, ce n’est que du bonheur. Les enfants sont un public incroyable pour ça. Ils sentent si on ment sur les émotions. On peut raconter des histoires qui n’existent pas, ça oui, ils sont d’accord, on est dans un univers qui le permet. Mais si le personnage, même complètement imaginaire, n’a pas les émotions qu’il devrait avoir face à une situation, parce que en créant on ne s’est pas rendu compte qu’à ce moment-là, en fait, il doit avoir peur. Et ben, les enfants, tout de suite, ils pointent. Et les bancs d’essai qu’ils font, c’est hyper essentiel. Les enfants ne vont pas dire merci ni applaudir, mais leurs réactions permettent de vite savoir si le spectacle est bon ou pas. S’il est bon, il y a un respect de l’histoire, des émotions qui sortent. Il est plus difficile d'obtenir la reconnaissance des enfants que celle de la politique ou des instit’s."
"Au départ, il y a plein d’idées, plein d’objets"
"J’aime bien les petits. Pour eux, on accentue la poésie visuelle, on est un peu moins dans le texte. C’est plus alimenté par l’image, bien que ce ne soit pas une règle générale. Le théâtre jeune public ne doit pas être plus imagé ou descriptif visuellement, parce qu'avec presque rien, on peut les emmener dans un imaginaire, il faut être juste. Il ne faut pas spécialement beaucoup. Je reprends Petit penchant : il n’ y a rien ! Il y a un plateau incliné, il y a de la couleur dans les costumes et sur le plateau. Il y a un plateau incliné, des costumes, et une pomme à un moment donné. Rien d’autre. Par contre, on a travaillé autant que sur un spectacle pour lequel il faudrait une grosse structure à l’arrière car il fallait épurer. Au départ, il y a plein d’idées, plein d’objets. D’une colline, on est arrivé à un plan incliné d’un mètre sur deux. Et pratiquement, c’est léger. Je conçois les scénographies en fonction de l’endroit où on doit aller : 'On a une camionnette qui mesure autant', ou 'ça doit rentrer dans la voiture'. Il y a le budget, les condition de montage, la rapidité de montage, démontage, la manière dont ça se replie et ça entre dans tel volume ou pas. Un montage rapide de spectacle, c’est trois quatre heures. En comptant qu’il y a un pointage lumière."
"On ne va plus dans les écoles. Le théâtre à l’école, ça devient vraiment rare. Moi je ne travaille pas avec des compagnies qui font ça. Quand les enfants ont leur première expérience de spectacle, ils sont tellement pris par l’histoire, qu'ils pleurent ou ont des angoisses.
Avant de travailler comme costumière, j’ai joué comme marionnettiste. J’ai manipulé une marionnette à gaine. C’était une boule de frigolite avec des franges de rideau comme cheveux et une peau de chamois comme robe. Et on ne me voyait jamais, j’étais cachée. À la fin du spectacle je vais saluer et il y a une petite fille qui me demande' Mais t’es qui, toi ?' 'Moi je suis Anna', 'Mais comment t’as fait pour être si petite ?'
Propos recueillis par Florence Jacobs,
Centre culturel du Brabant wallon